J’ai déjà parlé de la contribution importante que les femmes ont apportée à notre compréhension du cosmos à travers les portraits d’astronomes de diverses époques. Une nouvelle fois, je vais vous narrer l’histoire d’une scientifique qui a dû lutter contre les préjugés qui prévalaient envers les femmes : Williamina Fleming.
Jeunesse de Williamina Fleming
Née à Dundee en Écosse, Williamina Stevens est l’une des neuf enfants d’un artisan et de sa femme. Mais son père décède alors qu’elle est âgée d’à peine 7 ans. Sept ans plus tard, elle devient enseignante auprès des plus jeunes au titre de pupil-teacher qui existait alors afin d’aider financièrement sa mère et ses frères et sœurs. À 20 ans, elle épouse James Orr Fleming, un comptable local, veuf et de 16 ans son aîné, avec qui elle émigre à Boston aux Etats-Unis en 1878. Son mari l’abandonne peu après leur arrivée, la laissant enceinte et seule dans un nouveau pays. Forcée de trouver rapidement un emploi pour subvenir à ses besoins, elle est embauchée comme femme de ménage au domicile d’Edward Charles Pickering, directeur de l’Observatoire de Harvard. Son employeur est sur le point de changer sa vie. La jeune femme appellera d’ailleurs son fils né en 1879 Edward Charles Pickering Fleming.
Débuts à l’observatoire Harvard College
Frustré par le manque d’attention aux détails de ses assistants masculins à l’Observatoire de l’université Harvard, Edward Pickering affirme (selon la légende) que sa femme de ménage pourrait faire un meilleur travail. En 1879, il confie à Fleming un travail de bureau à temps partiel à l’observatoire. La même année, la jeune femme retourne à Dundee pour donner naissance à son fils qu’elle confie à sa grand-mère avant de repartir pour Boston. Quelques années plus tard, ce dernier viendra la rejoindre aux États-Unis.
Impressionné par le travail de la jeune femme, Pickering invite Fleming à intégrer l’observatoire comme membre à part entière du personnel permanent et lui apprend à analyser les plaques photographique prises. En tant qu’astronome, son objectif est de photographier la totalité du ciel et de cataloguer systématiquement chaque étoile visible. Les prises de vue des astres se font alors sur des plaques photosensibles en verre, plus sensibles à la lumière que l’œil humain. Pickering place un prisme devant la lentille du télescope afin de capturer l’image spectrale de chaque étoile. Le spectre lumineux d’une étoile est ce qui permet de connaître sa composition chimique.
Afin d’analyser les nombreuses images prises à l’observatoire de l’université Harvard et ainsi identifier les caractéristiques des astres en question, Pickering prend la décision d’embaucher toute une équipe de femmes, qu’il peut payer beaucoup moins que les hommes. Ce groupe de femmes sera par la suite désigné par Harvard Computers (« calculatrices de Harvard » ou « calculatrices humaines »). Les détracteurs du scientifique les surnommeront moins élégamment le « Harem de Pickering » (Pickering’s Harem). Pickering confiera la de ce groupe responsabilité à Williamina. Certaines de ces femmes deviendront elles-mêmes de grandes astronomes réalisant d’importantes découvertes.
Un nouveau catalogue d’étoiles
Williamina Fleming reçoit de plus en plus de responsabilités et apprend peu à peu le métier d’astronome. Elle travaille sans relâche, cependant une grande partie de ses premiers travaux est publiée sous le nom de Pickering. Par ailleurs, elle recrute plusieurs jeunes femmes pour intégrer les Harvard Computers. Parmi elles se trouve une certaine Henrietta Swan Leavitt qui découvrira quelques années plus tard comment mesurer l’Univers.
Williamina développe un tout nouveau système de classification par étoiles qui sera connu sous le nom de Pickering-Fleming System. Ce dernier regroupe les étoiles en fonction de la quantité d’hydrogène visible dans leur spectre, une lettre étant attribuée à chaque étoile. Celles ayant la plus grande teneur en hydrogène étant classées comme « type A », puis les suivantes « type B » et ainsi de suite. Plus tard, Annie Jump Cannon, embauchée en 1896 comme calculatrice humaine de Pickering, améliorera ce travail pour développer un système de classification plus simple basé sur la température de surface.
Le travail de Fleming est compilé dans le nouveau catalogue publié en 1890 par Pickering et nommé catalogue Henry Draper en mémoire de l’astronome américain dont la veuve a financé le projet. Ce dernier contient plus de 10 000 étoiles classées selon leur spectre, la majorité de ces classifications ayant été faites par Williamina Fleming.
En 1888, la jeune femme découvre l’emblématique nébuleuse de la tête de cheval dans la constellation d’Orion sur une plaque photographique prise par William, le frère d’Edward Pickering.
Williamina Fleming, une femme scientifique pionnière
Williamina Fleming ouvre la voie à de nombreuses femmes scientifiques. En 1893, elle publie un article dans la revue Astronomy & Astrophysics intitulé A Field for Women’s Work in Astronomy, plaidant pour que plus de femmes travaillent dans les sciences. Elle conteste également l’écart de salaire entre les sexes.
Au cours de l’année 1899, elle devient la première femme à occuper le poste de conservatrice des photographies astronomiques de l’observatoire. Sept ans plus tard, elle est la première femme américaine élue membre honoraire de la Royal Astronomical Society d’Angleterre.
C’est également la première à identifier l’existence des naines blanches. En effet, lors d’une visite chez Pickering, le scientifique Henry Norris Russell interroge son ami et bienfaiteur sur certaines étoiles faibles, en mentionnant en particulier 40 Eridani B. Pickering transmet alors une note au bureau de l’Observatoire de Harvard, et reçoit une réponse de Fleming indiquant que le spectre de cette étoile était de type A. Il s’agissait donc d’une naine blanche, ce terme ne sera inventé qu’en 1922 par Willem Luyten puis popularisé par Arthur Eddington en 1924.
« La première personne qui a su l’existence des naines blanches était Mme Fleming; les deux suivants, une heure ou deux plus tard, le professeur E. C. Pickering et moi. » dira Henry Norris Russell
En 1910, Fleming publie des articles dans des revues scientifiques à propos de son travail sur l’étude de ces étoiles extrêmement chaudes et denses à la fin de leur vie stellaire. Notez que lorsqu’il finira par manquer d’hydrogène, notre soleil deviendra lui aussi une naine blanche.
Williamina Fleming succombe à une pneumonie le 21 mai 1911, à Boston. Peu avant sa mort, elle reçoit la médaille Guadalupe Almendaro de la Société astronomique du Mexique pour sa découverte de nouvelles étoiles. Au cours de sa carrière, la scientifique aura découvert un total de 59 nébuleuses gazeuses, plus de 310 étoiles variables et 10 novae.
Sources