L’astrophysicienne britannique Jocelyn Bell vient de recevoir le Breakthrough Prize en physique fondamentale, décerné par les fondateurs de Facebook et Google, pour sa découverte des pulsars radio 50 ans auparavant. Revenons sur cette découverte.
La scolarité difficile de Jocelyn Bell
Née en Irlande du Nord en 1943, Jocelyn Bell accompagne très jeune son père architecte au planétarium d’Armagh qu’il a aidé à construire. Elle commence alors à se passionner pour l’astronomie.
Mais à cette époque, les filles ne sont pas autorisées à étudier les sciences à l’école locale… Les parents de la jeune fille téléphonent alors au directeur de l’école pour protester, suivis par les parents de deux autres étudiantes de l’école et réussissent à faire céder le directeur.
À 11 ans, Jocelyn Bell échoue à l’examen britannique 11+ qui lui aurait permis de poursuivre des études supérieures. Ce qu’elle ne sait pas à l’époque c’est que les filles doivent à cette période avoir une note plus élevée que les garçons pour réussir. « Les autorités se sont inquiétées du nombre de filles qui encombraient le cheminement scolaire alors que ce sont les garçons qui en avaient besoin », affirme la scientifique plus tard. Ses parents décident alors de l’envoyer en pension à la Mount School de York en Angleterre où elle peut travailler avec un professeur de physique, Mr Tillott, qui l’impressionne et participe au développement de sa vocation pour la physique.
Jocelyn Bell obtient un bachelor of science en physique à l’université de Glasgow en 1965 puis un PhD (doctorat) de radioastronomie à l’université de Cambridge 4 ans plus tard.
Découverte des pulsars
Lors de son doctorat, elle travaille, entre autres avec son directeur de thèse Antony Hewish, à la fabrication d’un radiotélescope destiné à l’étude des quasars. Le premier quasar venait d’être découvert 3 ans auparavant par Maarten Schmidt. Un quasar est le siège de phénomènes énergétiques très intenses. C’est une galaxie à noyau actif c’est-à-dire une galaxie dont la région centrale est très lumineuse.
Le radiotélescope achevé en juillet 1967 utilise la scintillation interplanétaire qui permet de distinguer les sources compactes de celles plus étendues. Le rôle alors confié à Jocelyn Bell est la recherche d’anomalies dans les données obtenues (ondes radioactives galactiques).
En examinant les enregistrements du radiotélescope, l’étudiante remarque un signal différent des signaux connus : la position sur la sphère céleste semble constante (ce qui est impossible pour un satellite artificiel) et les pulsations sont régulières : environ une par seconde. La période de 1,337301192 seconde sera par la suite mesurée avec une très haute précision.
La source située dans la constellation du Petit Renard à un peu plus de 2000 années-lumière est temporairement nommée LGM-1 : Little green men 1 (petits hommes verts 1). Les scientifiques ignorent alors la nature de ce signal. Étant donnée l’extrême régularité, il pourrait s’agir d’un signal extraterrestre. Mais cette hypothèse est rapidement écartée.
Les impulsions observées ont ensuite été identifiées comme produites par un rayonnement issu d’une étoile à neutrons en rotation rapide, ce qui sera appelé par la suite un pulsar.
Qu’est-ce qu’un pulsar ?
Si ces objets n’avaient, à l’époque, encore jamais été observés, leur existence avait été prévue auparavant par plusieurs théoriciens.
En 1934, Walter Baade et Fritz Zwicky émettent l’idée que les grosses étoiles explosent en supernova et que le résidu serait une étoile à neutrons. Le neutron avait été découvert deux ans auparavant par James Chadwick.
En 1967, avant la découverte de Jocelyn Bell et Anthony Hewish, l’astrophysicien Franco Pacini prédit l’existence d’une étoile à neutrons en rotation rapide au sein de la Nébuleuse du Crabe. Il établit qu’une étoile à neutron en rotation avec un champ magnétique produirait une émission considérable de rayonnement et pourrait ainsi expliquer l’éclat du centre de la nébuleuse.
En 1968, un nouveau pulsar est bien découvert dans la constellation du Crabe. À seulement quelques bureaux de distance et ignorant à cette époque leurs travaux respectifs, Franco Pacini et Thomas Gold écrivent des articles faisant le lien entre supernovae, pulsars et rémanents de supernova.
Revenons sur l’explication des pulsars.
En fin de vie, une étoile très massive de l’ordre de plus de 10 masses solaires s’effondre sur elle-même en produisant une explosion appelée supernova. Les couches supérieures de l’étoile se dispersent dans l’espace, ce qui forme une nébuleuse, comme la nébuleuse du crabe, appelé rémanent de supernova. Le cœur quant à lui se contracte et forme une étoile à neutron. Une étoile à neutron concentre la masse du Soleil dans un rayon d’environ 10 km ! À des densités aussi grandes, les atomes et les noyaux atomiques n’existent plus, la matière est réduite à une ‘purée’ de neutrons. Notons tout de même que toutes les supernovae ne donnent pas naissance à des pulsars, elles peuvent également laisser derrière elles un trou noir.
Afin de conserver le moment cinétique, l’étoile à neutron doit tourner plus vite sur elle-même (période de rotation de quelques secondes pour les plus lents et quelques millisecondes pour les plus rapides). On peut comparer ce phénomène à une patineuse artistique qui doit ramener les bras le long de son corps pour augmenter son accélération. Le flux magnétique doit également être conservé : le produit du champ magnétique par la surface de l’étoile doit être constant. Puisque la surface diminue, le champ augmente proportionnellement.
Cette étoile à neutrons tourne donc très rapidement sur elle-même et projette un faisceau de radiations très intenses. On peut comparer cela à la lumière d’un phare. Il émet de la lumière en continu et en rotation, mais elle n’est observée que par intervalles réguliers depuis un bateau. Si nous nous trouvons dans l’axe du faisceau de cette étoile à neutron, nous avons l’impression de la voir pulser d’où son nom de pulsar (pulsating radio source en français source radio pulsante).
Prix Nobel
« À l’époque, les découvertes scientifiques devaient être celles d’un homme âgé et expérimenté qui avait sous ses ordres une flopée de sbires et d’étudiants qui ne devaient pas réfléchir, seulement faire ce que le scientifique disait… », dira Jocelyn Bell plus tard. Son directeur de thèse Hewish reçoit le prix Nobel de physique en 1974 pour cette découverte avec son collègue Martin Ryle. Mais Jocelyn Bell n’est pas mentionnée.
« Je n’ai pas eu le prix, mais je ne saurais dire si c’est parce que j’étais femme ou une étudiante », affirme-t-elle aujourd’hui. «Les temps ont changé. Les prix sont désormais octroyés en fonction des travaux d’un groupe ou d’une équipe de chercheurs. Si cette histoire était arrivée aujourd’hui, je crois bien que j’aurais gagné le prix. »
La vie de Jocelyn Bell après le prix Nobel
L’astrophysicienne obtient son doctorat en 1969. Elle épouse Martin Bell, un fonctionnaire du gouvernement, ce qui les poussa à déménager tous les deux ou trois ans. La physicienne doit à chaque fois retrouver un travail à temps partiel pour élever son fils, Gavin Burnell.
« C’est devenu plus difficile quand je me suis mariée et que j’ai eu un enfant, car les mères n’étaient pas censées travailler, alors j’ai fini par travailler à temps partiel pendant environ 18 ans. » « Je savais que j’avais besoin de travailler, j’ai eu de la chance que les directeurs soient prêts à me faire travailler à mi-temps, ce n’étaient pas des missions exceptionnelles, mais elles étaient assez agréables et me permettaient de travailler à mi-temps et de rester en contact avec le domaine. »
Les postes fournis ne sont pas toujours dans la recherche : relations publiques, gestion d’observatoires, coordination de groupes de recherche… « J’ai eu le genre de travail qu’on obtient en écrivant des lettres de mendicité » même si « une partie était un peu difficile à avaler. » Aurait-ce été différent si elle avait reçu le prix Nobel ?
Le couple divorce en 1993. De 1991 à 2001, Jocelyn Bell est professeur de physique à l’université à l’université ouverte, un établissement public d’enseignement et de recherche axé sur les études à temps partiel et l’enseignement à distance. Elle y construit alors son propre groupe de recherche en astrophysique.
Elle est également présidente de la Royal Astronomical Society of Edinburgh entre 2002 et 2004 et de l’Institute of Physics du Royaume-Uni d’octobre 2008 à octobre 2010.
« J’ai reçu tout plein d’autres prix. Je suis beaucoup plus heureuse avec toutes ces reconnaissances qu’avec un seul, plus prestigieux. »
Si elle n’a pas reçu le prix Nobel, elle a quand même été nommée commandeur de l’ordre de l’Empire britannique et membre de la Royal Society. Elle a également reçu le Prix Beatrice M. Tinsley en 1986, le ‘Women of the Year Prudential Award’ en 2015 et la Grande Médaille 2018 de l’Académie des sciences en France.
L’astrophysicienne enfin récompensée aux Breakthrough Prize
Les Breakthrough Prize, fondés en 2012 sont des prix récompensant des avancées scientifiques majeures. Des récompenses régulières sont attribuées, mais le comité de sélection peut également choisir d’attribuer un prix spécial à tout moment, et pas uniquement pour des découvertes récentes. Jocelyn Bell Burnell a ainsi été honorée « pour ses contributions fondamentales à la découverte des pulsars et pour toute une vie de leadership inspirant dans la communauté scientifique. » La scientifique a décidé de donner les 3 millions de dollars gagnés à l’Institut de physique de l’université d’Oxford, où elle est professeure émérite afin de financer des bourses d’études pour les personnes appartenant à des groupes sous-représentés dans ce domaine : femmes, membres de minorités ethniques et réfugiés.
« L’histoire du pulsar est en partie arrivée parce que j’étais une minorité et une étudiante. Augmenter la diversité dans la physique ne peut amener que de bonnes choses. » Les personnes issues de ces groupes apportent « un regard neuf sur les choses et c’est souvent très productif ».
Pour aller plus loin
L’Astronomie au féminin
À rebours des idées reçues, Yaël Nazé retrace le parcours de quelques scientifiques importantes qui ont en commun une particularité : leur sexe. L’ouvrage suit la trame des grandes découvertes, chaque domaine donnant lieu à une description des phénomènes astronomiques concernés et à un récit où l’on retrouve les grandes figures féminines de l’astronomie.
Sources
https://www.aip.org/sites/default/files/history/files/LessonPlan_BellBurnell.pdf
http://www.astropolis.fr/articles/les-objets-du-ciel/les-pulsars/les-pulsars.html
https://www.franceculture.fr/sciences/jocelyn-bell-passion-pulsars
http://www.pnas.org/content/112/5/1241
Outre l’aspect scientifique, c’est un bel exemple de femme dans ce domaine. Heureusement que les mentalités ont évolué quand même…